À l’heure où Barack Obama quitte le pouvoir et lâche les platines, retour sur une présidence mélomane, qui ouvrit la Maison-Blanche aux musiques noires.
Un président noir à la Maison-Blanche ? Le scénario n’avait été envisagé en musique qu’à travers des compositions fantaisistes ou carrément pour imaginer l’impossibilité d’une telle élection.
Même si Barack Obama a un père kényan et une mère née dans le Kansas, qu’il a grandi entre Hawaï et l’Indonésie, pour l’Histoire, il restera le premier président Noir des Etats-Unis.
« En fait il est à moitié Blanc, et donc même dans les cerveaux racistes, il a au moins à moitié raison » ironisait le rappeur Jay Z, un des soutiens les plus visibles de la galaxie musicale Obama, finalement plus éclectique qu’il n’y paraît.
Pendant ses deux mandats, le Président a éclairé ses fans en publiant des playlists présidentielles. Il a aussi organisé des concerts exceptionnels à la Maison-Blanche où il a souvent lui-même donné de la voix. Dans ses choix, on décèle un goût certain pour la soul music, Stevie Wonder et Aretha Franklin, mais pas seulement. En huit ans, Barack Obama aura été le Président américain qui a reçu le plus d’artistes (Mavis Staples, Bob Dylan, Kendrick Lamar, Common, Smokey Robinson, Paul McCartney, Mick Jagger, Esperanza Spalding, Queen Latifah, etc.) et le premier à donner droit de cité en si haut lieu au hip-hop, à la Motown ou à la bande-son du Mouvement pour les droits civiques.
Dans un pays où la célébrité est le statut ultime de l’identité, Barack Obama a trouvé le soutien de stars adoubées par ses filles (pas seulement Beyoncé ou Jay Z) et il a ouvert sa porte à toute une nouvelle génération d’artistes. Pas étonnant donc que pour la soirée d’adieu du POTUS (President of The United States, son pseudo sur Spotify et sur Twitter), une foule de musiciens aient été prêts à affronter le froid et à faire la queue pour entrer dans « la Maison du Peuple » tenue par les Obama pendant encore quelques jours.
En ce début janvier, on pouvait apercevoir Jill Scott, Janelle Monaé, Common, Usher, Les Roots, De La Soul ou encore Leslie Odom Jr., la nouvelle star de la comédie musicale de Broadway qui a séduit le grand public américain dans Hamilton, un show hip-hop et R’n’B qui (ré-)interprète l’histoire américaine avec un casting multiethnique.
À tel point que même le futur vice-président de Trump, Mike Pence, y est allé, ce qui lui a valu une lettre lue sur scène par les acteurs inquiets pour l’avenir du multiculturalisme dans leur pays. Bien avant le succès, Obama, lui, avait reçu son auteur, Lin Manuel Miranda, dans les jams poétiques de la Maison-Blanche. Depuis, la pièce a fait le tour des États-Unis (et devrait être adaptée ailleurs), elle a généré des milliards de dollars, l’auteur a reçu le prix Pulitzer, et Barack Obama l’a réinvité cette année pour présenter cette comédie musicale chez lui.
« Lorsque j’avais reçu Lin, il m’avait parlé de son projet sur un personnage qui représente le hip-hop dans tout son être : Alexander Hamilton, né en 1757 ! » rigolait Obama en présentant le spectacle délocalisé à la Maison-Blanche.
C’est peut-être là une des grandes qualités du mélomane Obama et de son équipe de conseillers : incarner à lui seul le « cool » d’une époque, la musique d’une ère qui va s’achever avec l’arrivée de son successeur. Il a su, tout au long de son mandat, promouvoir un hip-hop conscient. Même empreint d’une certaine colère, chez Obama le hip-hop paraît exempt de violence et de clichés. D’ailleurs, quand il reçoit Kendrick Lamar pour la fête du Jour de l’Indépendance américaine cet été, c’est un symbole fort bien sûr, mais, protocole oblige, le chanteur ne joue pas son dernier album Pimp As a Butterfly, très politisé, et il ne peut prononcer les mots « gang », « gang sign », « hood ».
Bien sûr qu’il aime le hip-hop dit le Sénateur Obama interviewé en 2008 ! Il aime ce rappeur gangster américain, Jay Z, qui « a un bon flow », disait-il en connaisseur du vocabulaire rap. Mais le sénateur de l’Illinois avouait aimer surtout Stevie (Wonder), Marvin (Gaye), les Temptations, Earth Wind and Fire… Ce qu’il appelle la musique «old school», ces idoles qui transcendent la postérité auquel Barack Obama va rendre hommage tout au long de sa présidence. Le premier artiste qu’il invite pour un concert officiel retransmis sur la chaîne publique sera d’ailleurs Stevie Wonder, que le candidat Obama a joué dans ses meetings de campagne et sur lequel il aurait fait danser la belle Michelle pour la première fois… Parmi les « guests » de cette soirée spéciale, il y a entre autres, Paul Simon, Esperanza Spalding et bien sûr le Black Eyed Peas, Will.i.am, l’auteur du tube « Yes We Can ».
« On a organisé cet hommage à Stevie Wonder en moins d’un mois, c’est historique ! Que ce soit chez Dylan, Mick Jagger, BB King, Buddy Guy ou d’autres, on sent que pour les artistes, il y avait une certaine magie à jouer devant ce président si mélomane » se souvient Dalton Delan, producteur exécutif des concerts In Performance at The White House.
Barack Obama n’a cessé de le dire : ces concerts restent l’une de ses traditions préférées à la Maison-Blanche, sa petite bouffée d’oxygène dans un quotidien contrôlé, minuté, au cœur de la bulle White House. Pour lui, la seule contrepartie de ce quotidien éreintant, c’est de « recevoir Mick Jagger de temps en temps pour un concert… »
Avec l’arrivée de l’administration Obama, ces concerts officiels ont changé la couleur musicale de la Maison-Blanche. De nouvelles thématiques – Soul, Fiesta Latina, soirée Blues, Gospel, ou Motown – ont remplacé la musique classique et les héros républicains country invités par George W. Bush. Pendant sa dernière année au pouvoir, le Président Obama a d’ailleurs eu une boulimie de musique à domicile. En marge des concerts officiels qui se sont soldés par un vibrant hommage à Ray Charles et où le président, après avoir présenté les musiciens, a encore chanté. Il a aussi délocalisé un festival sur la pelouse de la Maison-Blanche, et il a invité le « live » d’une célèbre émission de radio de NPR avec Common. Et pour son dernier Noël au jardin, en public, il a invité Chance the Rapper.
Dès le 20 janvier, les choses vont changer, et la bande-son de Donald Trump – qui a eu du mal à recruter des artistes pour chanter lors de son investiture – risque de renouer avec la bonne vieille tradition républicaine, tendance country. Pour l’instant, la nouvelle administration a fait savoir que les concerts ne seraient pas sa priorité, aucun show n’est encore prévu en la demeure présidentielle, mais il est encore permis d’espérer qu’elle suscitera des hymnes… « Yes We Can » ?